6 février 2013

nuit une

            La première fois qu'on a entendu parler des murs c'était une nuit ordinaire. La ville avait des airs de fin de feu d'artifice, les rues reflétaient des gens flous et des morceaux de voix inintelligibles. Lui aussi il était flou, il marchait au beau milieu d'autres personnes inintelligibles et il se sentait bien. Il s'agissait d'être beau et de rire et l'on s'éparpillait dans une direction incertaine, courait pour de faux et se raccrochait aux réverbères avec ce fou rire silencieux qu'on a quand on n'a plus d'haleine. 
            Lui ne courait pas, il marchait en discutant avec passion avec une fille rencontrée un peu plus tôt, de cinéma ou de musique ou, peu importe. Parfois il s'immobilisait et contemplait avec satisfaction la scène, la fille pleine de cheveux qui faisait semblant de s'intéresser à lui, les lumières des enseignes sur les trottoirs mouillés, les amis hilares. Et il se remettait à marcher, presque droit comme si tout cela lui appartenait, avec son sourire insolent et ses petits mouvements de tête pour rejeter en arrière une mèche imaginaire, ce qui lui donnait, pensait-il, un certain panache. 
            Peu à peu l'allure ralentit sans raison apparente, jusqu'à ce que le groupe s'arrête en pleine rue. Le silence était arrivé d'un coup. Tout le monde avait les yeux fixé dans la même direction. Il les rejoint :
- Qu'est-ce qu'il y a ?
- Un mur.
- Un mur ?
- Oui.
- On n'est pas dans la rue Henri Barbusse ?
- Si.
Il commençait à perdre patience. Ça n'avait aucun sens.
- Depuis quand il y a un mur ici ? C'est absurde.
- Je suis passée là cet aprèm, intervint la fille en dégageant sa taille de son bras à lui, qu'il avait placé là avec confiance. Il n'y avait rien, c'était normal.
            Et pourtant il y avait bel et bien un mur, qui barrait la rue de part en part, et les dominait de toute sa hauteur. Un bon gros mur, épais et sur de lui, qui avait l'air d'être là depuis toujours. Il y posa la main comme pour être sûr qu'il ne rêvait pas. Il avait du mal à trouver une explication rationnelle.
- Bon, on fait quoi ? -lança quelqu'un.
            Finalement ils décidèrent de contourner par la rue Massillon, ça revenait au même. Mais l'ambiance s'était refroidie, plus personne ne se poursuivait de réverbère en réverbère. Il était contrarié, comme toujours quand les choses lui échappaient. Il se sentait, pour une raison obscure, garant du bon déroulement des nuits. Les gens devaient s'amuser et oublier le reste, il fallait absolument que l'on s'amuse autour de lui pour qu'il soit heureux. En prenant une rue adjacente ils retombèrent sur la rue Henri Barbusse, au-delà du mur. Il remonta la rue pour aller le toucher une nouvelle fois, de l'autre côté. Son agacement grandissait de plus en plus. Pourquoi avoir mis un mur ici ? Il n'avait aucune fonction.
- Allez, viens, laisse, c'est juste un mur.
            Il la suivit, confus. Et puis, ils atteignirent une autre fête, les rires et la musique reprirent et il oublia tout à fait le mur. Il aimait vraiment bien cette fille, son minois affuté qui contrastait avec sa voix grave. La discussion portait sur la dématérialisation de la culture. Il n'écoutait pas vraiment, il se laissait bercer par le brouhaha de la fête, ivre et content. Lorsqu'ils repartirent après quelques verres de plus ils n'étaient plus que tous les deux. Ils avaient échangé un baiser pressé dans la cuisine, n'en avaient pas du tout parlé et ils se retrouvaient à nouveau sur le trottoir miroir, muets et embarrassés.
            Dans un pas de danse il se pencha vers sa bouche mais elle se déroba, prononça quelques mots de regret qu'il n'entendit pas et le laissa là. Il y resta quelques minutes, la tête résonnante, posant sur la rue qui l'entourait un regard hébété. Un tas de carton. Les reflets du trottoir. Une enseigne au néon qui le captiva. Il lui semblait qu'elle clignotait en rythme avec la musique qui continuait de retentir, assourdie, depuis l'immeuble qu'il venait de quitter... 
            Il était un peu nauséeux et entreprit de rentrer chez lui. Quand enfin il tourna au coin de sa rue il grogna en voyant l'homme qui y titubait. Impossible de le contourner, il l'avait vu aussi et s'approchait de lui de son pas accidenté.
- Hé, bonhomme.
Ne rien répondre, ça valait mieux. Accélérer. L'autre bafouillait.
- Hé, hé, ça craint ici. Faut s'casser, faut... faut pas rester.
Il avait atteint sa porte.
- Ils nous enferment. Faut s'casser... Hé écoute-moi, écoute-moi.
            Clés, porte ouverte, porte refermée, ouf. L'ampoule économique éclaira mollement la banalité de sa chambre. C'était moche, il préférait les trottoirs luisants. Il se laissa tomber de tout son poids sur son lit. 
            Il lui semblait que la musique continuait de résonner dans sa tête. La musique et une voix rauque qui disait... il n'entendait pas très bien... qui disait « ils nous enferment ». Et puis, plus rien. 

2 commentaires:

  1. Bon, je sais que tu le sais, mais :
    - ton écriture est géniale ;
    - comme d'habitude je m'emporte ;
    - parce que je te connais je sais que tu t'identifies sur certains points mais ça ne me dérange aucunement dans ma lecture alors ça c'est vraiment un +1,2,4,B,12,mille de mon point de vue ;
    - j'adore encore plus en tant qu'élève en école d'art parce que travail sur l'écriture l'imaginaire le scénario et la contrainte et le corps immobile et l'esprit en mouvement ;
    - onze c'est un joli nombre j'aime bien les chiffres impairs ;
    - donc tu t'y tiendras parce que c'est pas un trop gros nombre non plus ;
    - you're the best baby.

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    1. Merci, merci, merci. Je t'autorise à me frapper si je bâcle un chapitre ou que je ne me tiens pas à mon objectif de onze !

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