11 février 2013

nuit deux



            La deuxième nuit avait pourtant bien commencé. L'air était doux, les trottoirs secs, et il faisait même encore un peu jour lorsqu'il l'avait retrouvée devant le guichet du cinéma. Elle avait recouvert ses lèvres de rouge et c'était joli, mais il se demandait ce qu'il se passerait quand il l'embrasserait. Sa bouche deviendrait-elle rouge, elle aussi ? Il songea que ça ne le dérangerait pas. Sur lui aussi, ça devait être joli. Tout lui allait. 
            Comme tout le monde, ils parlèrent des murs qui s'étaient mis à apparaître un peu partout dans la ville. Personne ne les voyait se faire construire. Avant il n'y avait rien et subitement il y avait un mur, toujours les mêmes murs tranquilles, sûrs d'être dans leur bon droit. Le parc Debelleyme avait vu sa fontaine isolée de son manège par un long mur, peut-être le plus long.
- Non, le plus long c'est celui de l'avenue Chapon. Au lieu de barrer la rue, il la sépare en deux dans le sens de la longueur.
- Mais alors, on peut passer quand même ?
- Non, il est très légèrement de biais. Il rejoint les bords de l'avenue des deux côtés.
             Elle n'avait pas l'air spécialement impressionnée par ces histoires de murs. Elle n'avait pas l'air spécialement impressionnée par grand-chose d'une manière générale. Elle avait de longs silences qu'il trouvait très beaux. Le film racontait une histoire de trompettiste vengeresse, et penchés l'un vers l'autre dans leurs sièges ils s'embrassèrent beaucoup. 
            Des murmures les accueillirent en sortant : un nouveau mur avait poussé pendant la séance, juste à côté du cinéma, produisant un embouteillage conséquent. Ils se faufilèrent à travers la foule que zébraient les phares des voitures, il faisait tout à fait nuit à présent. Elle le regardait d'un air amusé en allumant une cigarette.
- Qu'est-ce qu'il y a ?
- Tu as du rouge à lèvres, là.
            Le bar était bondé et très bruyant, ils se retrouvèrent serrés contre un pilier, tentèrent de converser en criant par-dessus le brouhaha. Ils n'entendaient rien du tout alors à la place ils burent et s'embrassèrent encore un peu, en riant de n'entendre rien du tout. Quelqu'un était déguisé en indien. Soudain son sourire à elle disparut alors qu'elle fixait l'écran de son téléphone portable.
- Qu'est-ce qu'il y a ?, cria-t-il
- C'est Blanche, elle est enfermée.
- Qui est Blanche ?
- Ma soeur ! Elle est enfermée chez elle, il y a un un mur devant sa porte.
Elle avait l'air affolé et ramassa précipitamment son manteau.
- Il faut que j'y aille !
- Comment ?
            Il avait très bien entendu mais il était dépité. Elle allait vraiment s'en aller ? Ce n'était pas du tout prévu. Il maudit cette Blanche qui avait eu la détestable idée d'habiter au mauvais endroit, mais déjà un baiser lui était planté sur la joue, et elle était partie, petit point inquiet dans la foule des petits points éméchés. Il songea que si un mur avait fleuri devant chez Blanche, elle ne pourrait pas plus y entrer que Blanche ne pouvait en sortir. 
            Alors qu'il se résignait à rentrer chez lui la nuit à peine entamée, il entendit son nom crié derrière lui. C'était des amis à lui dont il rejoint l'hilarité et avec lesquels il resta finalement quelques heures et but généreusement. Il ne remarqua pas que le bar se vidait. Avec lui ne restait qu'une vague connaissance passablement ivre. Lui aussi était ivre mais il continuait à boire, obstinément, jusqu'à la nausée; et quand la nausée vint il but encore. Il se retrouva dehors sans se souvenir d'être sorti, puis sur l'avenue Chapon sans savoir comment et marcha tout le long du mur en diagonale qu'elle hébergeait sans savoir pourquoi c'était si important. Il avait comme quelque chose qui battait dans sa gorge et sa bouche balbutiait des mots imaginaires.